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RACISME & SEXISME – Pourquoi le Neurocampus bordelais porte le nom de BROCA ?

TRIBUNE – Quand les frais des étudiants étrangers flambent, un institut sur le cerveau honore l’un des pionniers des thèses racistes et sexistes en France.

C’est au hasard d’une visite-guidée du Bordeaux Nègre, qu’un visiteur m’informe de l’inauguration de cet institut. Nous étions sur la 4ème étape du parcours « Quartiers de sucre », exactement à l’intersection entre la rue Broca et de la rue David Gradis (près de la place de la Victoire).

Cette étape nous permet souvent d’expliquer notre position modérée sur les vestiges de l’histoire coloniale, mettant en avant la pédagogie et un dispositif critique à la place de l’idée de débaptiser ces lieux témoins de l’histoire violente de l’esclavage, du racisme et de la colonisation.

Il faut dire que Paul Broca est très honoré en France et à Bordeaux. A l’Université de Bordeaux II, un amphithéâtre porte d’ailleurs son nom et régulièrement des associations étudiantes montent au créneau pour dénoncer cette présence.

L’intersection avec la rue David Gradis est elle aussi lourde de sens tant ce notable bordelais incarne l’armement de bateaux négriers tout autant que la possession de plantations esclavagistes aux Antillles.

Mais revenons à Paul Broca !

Né à Sainte-Foy-la-Grande en 1824 et mort en 1880, Paul Broca est un neuroscientifique « mondialement reconnu » dont les travaux de Neuroanatomie ont contribué à une meilleure compréhension du système limbique et du rhinencéphale. Fondateur de l’École d’anthropologie de Paris, sénateur à vie et membre de l’Académie de médecine il a découvert « l’aire Broca » : la position du centre de la parole dans le cerveau.

Mais c’est surtout son soutien manifeste et son alimentation scientifique des thèses racistes et sexistes qui font que l’hommage rendu à cette personnalité interroge.

En effet, Broca a défendu les thèses justifiant la domination raciale, coloniale et sexiste en annonçant que la craniologie est en mesure de fournir des données précieuses sur la valeur intellectuelle des races humaines.

Doutant de la capacité des peuples primitifs à évoluer et à acquérir la civilisation, considérant que les aptitudes intellectuelles sont héréditaires et spécifiques à chaque prétendue race, il constate que la perfectibilité est très inégalement répartie parmi les prétendues races humaines. Le docteur Paul Broca enfonce le clou en établissant des relations entre l’anatomie du crâne et du cerveau et les capacités mentales et l’intelligence et entreprit de mesurer la capacité des crânes humains à l’appui de son idée selon laquelle la petitesse du cerveau constitue un caractère d’infériorité caractéristique des peuples primitifs.

« On a vu que la capacité crânienne des noirs de l’Afrique occidentale (1 372,12 cm3) est inférieure d’environ 100 cm3 à celle des races d’Europe. »(1)

Les idéologies sexistes ne le laissent pas non plus indifférent comme le démontre cette hypothèse: « la petitesse relative du cerveau de la femme [dépendait] à la fois de son infériorité physique et de son infériorité intellectuelle.» (2)

« On s’est demandé si la petitesse du cerveau de la femme ne dépendait pas exclusivement de la petitesse du corps. Pourtant, il ne faut pas perdre de vue que la femme est en moyenne un peu moins intelligente que l’homme. Il est donc permis de supposer que la petitesse relative du cerveau de la femme dépend à la fois de son infériorité physique et de son infériorité intellectuelle.» (3)

Voici, donc, l’homme que les scientifiques bordelais ont tenu à honorer en 2018.

Si, les honneurs qui lui avaient été rendus, auparavant, l’avaient été à une période d’ignorance et de mépris des questions sociales liées au racisme, cette nouvelle dénomination contemporaine aux combats contre les discriminations ne choque-t-elle pas la conscience d’un pays traversé par une crise identitaire sans précédent ?

La France serait-elle à ce point dépourvue de scientifiques n’ayant pas trempé dans l’immonde pensée raciste et sexiste entre le 18e et le 19e siècle pour qu’on soit obligé d’honorer une énième fois Paul Broca ?

Comment une ville comme Bordeaux, largement déficitaire dans son investissement mémoriel pour une juste mémoire de l’esclavage et du racisme, peut-elle rester indifférente à un tel affichage qui pourrait venir nourrir le révisionnisme ambiant ?

MÉMOIRES & PARTAGES va interpeller, par courrier, les autorités universitaires et politiques afin de les sensibiliser sur l’émoi que cette nouvelle dénomination provoque dans l’opinion.

Karfa Sira DIALLO

Fondateur-directeur de Mémoires & Partages

1- LE CENTRE BROCA en chiffres c’est 4 ans de travaux, 47 M€ pour la construction, 20 M€ pour les nouveaux équipements, 240 scientifiques, 2  instituts :  l’Institut  interdisciplinaire de neurosciences (IINS) et l’Institut des maladies neurodégénératives (IMN), 29   microscopes   à   ultra-haute   résolution   du   Bordeaux Imaging Center (BIC), et 4  tutelles  scientifiques  :  université  de  Bordeaux,  CNRS, Inserm, Inra

 

  • Broca, « Sur les crânes de la caverne de l’homme-mort », Revue d’Anthropologie2, 1873, p. 1-53, cité par S. J. Gould, La Mal-mesure de l’homme, p. 97.
  • « Mémoires d’Anthropologie, Reinwald & cie editions /RIII p.567)«Sur le volume et la forme du cerveau suivant les individus et suivant les races [archive] »,  15, Extrait du t. II des Bulletins de la Société d’anthropologie, séances du 21 mars et du 2 mai 1861
  • Paul Broca, « Sur le volume et la forme du cerveau suivant les individus et suivant les races», Bulletin de la Société d’anthropologie,‎ 1861,  2

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